IX

- Non, non, maman, je ne peux pas retourner à Verneuil.

J'étais assis sur les genoux de ma mère, les bras autour de son cou, sanglotant... J'avais attendu la fin des vacances pour le lui dire, j'espérais avoir le courage de lui éviter un tourment, mais non, je ne pouvais pas... rien qu'à penser à Verneuil, mon âme se resserait, mon coeur s'arrêtait comme si j'allais m'évanouir. Gravir à nouveau ce calvaire de solitude et de moquerie ? Depuis trois semaines que j'étais à Biarritz, mon cœur s'était dilaté. Avec l'air vivifiant de la mer s'étaient éveillées en moi toutes les énergies, je ne saurais plus vivre renfermé, à nouveau je devrai apprendre à souffrir, à ne pas parler, à ne pas chercher à aimer... Depuis trois semaines, les tiédeurs de l'enfance m'avaient adouci, saurais-je à nouveau me figer dans ce cruel séjour... il m'avait évité toute nouvelle déception. Oh ! Non, maman ne m'enverrait plus à Verneuil.

« Si tu savais ce que j'y souffre, poursuivis-je haletant » et soudain je compris que seul un mensonge pouvait traduire la vérité de ma souffrance. « C'est surtout ma parure dont ils se moquent, ils m'ont appelé l'inachevé. Ils m’entraînent dans des rondes où je ne peux les suivre en chantant, Clopin, clopant... Sur les courts ils ne songent qu'à me faire tomber, ils accrochent ma bonne jambe avec leur batte de hockey : « Pour lui apprendre à être aussi courte que l'autre », disent-ils. Quels trésors d'imagination ne dépensai-je pas, pour rendre accessible à une grande personne l'intensité de mon désespoir. « Non, maman, je ne peux pas retourner à la Douce-France ».

« Calme-toi, mon chéri, nous verrons. Viens te promener »...

Tous les jours nous longeâmes la mer écailleuse et terne de l'hiver... le bourdonnement uniforme des flots rompait le silence... en paix je pouvais sonder l'intensité de ma détresse... dans trois jours je serais dans ce lit où je devais me cacher pour pleurer, dans trois jours... mais non maman m'avait dit qu'elle verrait, elle ne pouvait pas m'abandonner.

Le soir laissa couler des roses sur la mer... Avec lui vint l'apaisement... Dans trois jours je ne serais plus à Verneuil... Un monde où l'on pourrait rester éternellement blotti contre sa mère, ce devait être cela le paradis... Je ne retournerais pas à Verneuil.

Le lendemain matin ma mère vint s'asseoir sur mon lit.

« Mon chéri, me dit-elle, j'ai bien réfléchi cette nuit. Il faut que tu retournes à Verneuil ; tu ne peux pas changer sans cesse d'école, d'abord il est trop tard pour trouver une autre institution pour ce trimestre, tous les collèges sont déjà rentrés... Et puis ailleurs, ne seras-tu pas nouveau encore. Ce sera bien pire. C'est bien plus pénible d'arriver quand les autres sont déjà habitués... »

Je n'entendais pas ma mère, ainsi je retournerais à Verneuil, le désespoir tomba sur moi. J'étais déjà l'enfant figé de la Douce-France, je tournais vers ma mère des yeux qui ne la voyait plus...

« Tout ce que je peux te promettre, acheva-t-elle, c'est que tu n'y retourneras plus l'année prochaine. »

Les derniers jours de vacances ne furent plus qu'un long supplice, chaque minute je m'enlisais, je sentais se dessécher la tendresse qui venait d'ouvrir mon cœur. Ne deviendrais-je pas méchant à force de souffrir ; déjà je ne savais plus aimer.

Pendant deux jours un enfant regarda fuir des bateaux sur la mer triste, un enfant dont la détresse était si grande que rien ne l'émouvait plus.